Olga et mes cousines

Publié le par SklabeZ

Pour Un mot. Une image. Une citation

Un mot établir

Une citation Il n'y a rien comme le désir pour empêcher les choses qu'on dit d'avoir aucune ressemblance avec ce qu'on a dans la pensée. - Marcel Proust

buche-neuve par Michel Loiseau

Bûche neuve © Michel Loiseau 
Image publiée ici avec l'aimable permission du photographe

 

La grosse bûche jetée lourdement dans la cheminée provoque un jaillissement d’étincelles pétaradantes.

Cette éruption s’élevant du foyer et fusant en gerbe, chasse subitement la pénombre et embrase toute la pièce de sa lumière, éclairant les visages des personnes présentes. b4eb02d0


Il y a là mon papy Tad-Coz et ma mamy Mamm-Goz.

Comme à trois ou quatre reprises dans l’année, ils reçoivent dans leur modeste ferme, toute leur famille, enfants et petits-enfants.


Le repas du soir terminé, nous sommes tous réunis autour du feu.

La cheminée en granit est énorme, c’est l’élément le plus imposant de la pièce principale. Une pièce, au sol en terre battue, comme dans tous les corps de ferme, avec au centre, une grande table rectangulaire en chêne, entourée de bancs.

Les pourtours de la pièce sont meublés de lits clos aux portes coulissantes finement sculptées et ciselées. Derrière leurs boiseries ajourées on devine des rideaux richement brodés.

Moi, les lits clos à l’intérieur obscur m’ont toujours fait peur mais on y dort parait-il très bien et au chaud.


Il n’y a pas de télé, elle n’existe pas encore et ces réunions familiales se déroulent toujours de la même façon, suivant un scénario établi à l’avance.

Après le repas du soir, on déplace les bancs et on les installe devant la cheminée pour la veillée rituelle.

Mamm-Goz, comme à son habitude, s’active sur une galettière, posée sur des chenets un peu à l’écart du foyer, sur le rebord du lit de braises. Elle y dépose la pâte qu’elle étale avec son petit râteau-spatule en bois. Ses crêpes sont très fines et délicieuses. Garnies de confiture ou de gelée de mûre, c’est le dessert préféré de ses petits-enfants. Un vrai régal !


Tad-Coz trône au centre du banc.

Autour de lui, de chaque côté, mes parents ainsi que mes oncles et tantes bavardent de tout et de rien. Bien qu’ayant des cousines et une sœur plus grandes que moi, j’ai, en tant que plus âgé des petits-enfants mâles, à huit ou neuf ans bien tassés, l’immense privilège de m’asseoir sur les genoux du patriarche. Il m’aime bien et moi aussi je l'aime bien. Quand il parle, je l’écoute attentivement, surtout quand il raconte sa guerre de 14-18, les tranchées, la bataille de la Marne, Verdun… « Ils ne passeront pas ! » martèle-t-il.


Contrairement aux adultes échangeant des regards lourds de sous-entendus qui disent : « Ça y est ! Il nous refait encore sa guerre ! », moi, je bois et savoure ses paroles.  Les yeux rivés sur ces flammes dansantes qui me fascinent, je rêve à tous ses faits d’armes, tous plus fantastiques et tragiques les uns que les autres.


Les autres enfants s’en foutent.

Les plus petits, jouent, à même le sol, à la poupée, aux billes, ou avec des petites voitures en bois.

Les plus âgées des petits-enfants, des cousines, au sortir de l’adolescence, accroupies autour d’un petit pouf, échangent bruyamment en regardant des revues de mode et des catalogues de lingerie. Elles rêvent à ces starlettes, princesses d’Hollywood, belles, élégantes et minces et proposent leurs recettes pour garder une ligne fine, se maquiller, s’habiller … Sans pudeur aucune, elles dévoilent leurs formes naissantes et laissent entrevoir leurs petites culottes, ce qui ne manque pas d’émoustiller le gamin que je suis.


Les paroles de mon papy s’atténuent, s’estompent et je pense déjà à la journée de demain.

J’ai hâte d’y être, à demain, début des vacances où nous pourrons assister aux travaux des champs et surtout, jouer aux cow-boys en conduisant les chevaux à la rivière. Nous les monterons, sans selle, à cru, accrochés à leur crinière, comme les indiens de nos bandes dessinées.

Je reprendrai ma préférée, Olga, une jeune et belle alezane avec une étoile blanche au front.

 

Tout comme les paroles de mon grand-père, les images d’Olga, ma jument préférée, s’évanouissent et disparaissent aussi de mon esprit.

 

Mon, regard, comme aimanté, revient sans cesse sur mes cousines, je n’arrive plus à détacher mes yeux de ce spectacle qui me procure de bien étranges et agréables sensations.


Je ne l’apprendrai que bien plus tard à l’école, mais Marcel Proust a dit : «  Il n’y a rien comme le désir pour empêcher les choses qu’on dit d’avoir aucune ressemblance avec ce qu’on a dans la pensée. »

Eh bien, moi je ne sais même plus ce que j’ai dans la pensée. Je sais qu’il y a du désir et que j’y pense…

 

On verra bien demain ! 

 

 


Publié dans Plumier & encrier

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
<br /> Tiens ! J'entends le feu crépité dans la cheminée ;-)<br /> <br /> <br /> Beau texte plein d'émotion. Encore bravo Sklabez.<br />
Répondre
S
<br /> <br /> Ça crépite, ça crachote et ça crachouille... <br /> <br /> <br /> À cet âge-là, on a du mal à masquer ses émotions... et bien plus tard aussi, d'ailleurs !<br /> <br /> <br /> Merci Anne-Ma<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Très  joli texte plein d'émotions.... ah les cousines !!<br /> <br /> <br /> Tu m'as fait une belle frayeur avec ton feu de bois, n'ayant pas mis mon casque, j'ai cru que mon ordinateur était parcouru d'un court-circuit, c'est lui qui crépitait !! <br />
Répondre
S
<br /> <br /> Contrairement au lecteur Grooveshark, celui de Onmvoice a un petit curseur sur son extrémité, à droite, pour régler le volume. Des crachotements d'accord ! Mais point trop n'en faut<br /> ! <br /> <br /> <br /> Merci de ton compliment, Santoline.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />